Archéomed, l'archéologie en milieu éducatif

Archéomed, l'archéologie en milieu éducatif

Les Journées d'étude sur le Trésor des Marseillais (15 et 16 mars)

 

 

Je n'ai pas pu assister à la première journée. C'est dommage, parce que l'approche en était alléchante: une relecture complète du monument, un croisement avec les données récentes des fouilles marseillaises, les meilleurs intervenants. En guise de consolation, on peut se dire que, sur cet aspect, la visite de l'exposition apporte l'essentiel. Mais la vraie consolation, c'était, pour la deuxième journée, l'intérêt du thème (la photographie en archéologie), et la qualité de certaines interventions.

 

 

Une approche obligée (la photographie), des éclairages passionnants (l'histoire des représentations).

Les premiers conférenciers ("Pourquoi faire des photos en archéologie?") ont évoqué le dialogue complexe qui s'établit entre le photographe et l'archéologue, ce dernier qui explique ce qu'il veut montrer, le photographe qui choisit angles et cadrages. Côté paradoxal et frustrant de la photo archéologique: "le photographe est acteur de la recherche mais pas auteur de la photo". Heureusement pour lui, il y a les moments où il se lâche, et voici quelques rares clichés, cette belle image du topographe debout sur un rocher au bord de l'eau, sa mire dressée, qui suggèrent ces moments de liberté où le regard se libère des contraintes scientifiques et erre un instant entre ethnographie et onirisme.

Plus brutale l'approche de Teddy Séguin: photographe indépendant, correspondant du National Geographic, et qui a travaillé avec la DRASSM aussi bien sur Arles Rhône 3 que sur l'épave de La Pérouse, il parle carrément de schizophrénie. Et c'est vrai qu'entre l'image verticale d'une épave commandée par les archéologues, montrant l'assemblage des membrures et du bordage, et celle publiée par le National Geographic, vue oblique où grand angle et contre-plongée sur des pièces de bois noires et agressives dramatisent la scène, il n'y a pas grand chose de commun...

Très technique, l'intervention de Livio de Luca, Directeur du MAP à l'ENS d'Architecture de Luminy, sur "la photomodélisation en architecture". Une surprenante juxtaposition d'images pour nous conduire à travers l'histoire des méthodes de représentation, depuis Brunelleschi et l'invention de la perspective jusqu'à la photogrammétrie et la représentation tridimensionnelle. Et de références littéraires, avec Borgès et Calvino, sur lesquels il s'appuie pour définir son travail sur l'anastylose de l'exposition: "il ne s'agit pas de représenter le réel tel qu'il est, mais tel qu'il pourrait être".

Sous le titre sibyllin de "Anastyloses blanches et photographies de la Méditerranée", PJ, prof au CCJ, nous présente un passionnant décryptage d'idéologie.

Cette image des monuments antiques en marbre blanc, qui nous est si familière, est une construction bien datée dans l'histoire de la Grèce et de l'Europe. Elle s'élabore en même temps que sont remontés ou restaurés dans les années trente des monuments-phares d'Athènes, le Trésor des Athéniens, les Propylées de l'Acropole, le Portique d'Attale.

Le mythe de la Grèce blanche se construit sur de claires proclamations identitaires, entre le XIXe siècle où la Grèce essaie de se libérer de l'empire ottoman (Renan et sa Prière sur l'Acropole en 1865: le blanc jusqu'à la mystique), et les années trente, où démarre la confrontation avec le bloc communiste, germe de la Guerre Froide, dans laquelle la Grèce joue le rôle de rempart. Dans ce contexte, la restauration du Trésor des Athéniens (le terme d' "anastylose" est inventé à cette époque), le dégagement de l'Acropole et des Propylées, sont une proclamation claire de l'hellénisme; la reconstruction du Portique d'Attale par les Américains est une proclamation des valeurs occidentales contre le communisme. Le testament d'Attale avait légué aux Romains le royaume de Pergame, qui bénéficierait plus tard de la Pax Romana - la reconstruction du Portique par les Américains veut créer l'image d'une sorte de Pax Americana.

L'archéologie n'est pas neutre dans ce contexte: ce n'est pas un scoop, on sait bien qu'elle est née dans le contexte de l'éveil des nationalismes au XIXe.

Mais la photographie archéologique non plus: derrière les émouvants clichés de cette époque montrant tantôt la découverte de fûts de colonne effondrés, tantôt le remontage d'un monument, avec ou sans les échafaudages, derrière ces tirages en noir et blanc (on n'avait pas le choix), très contrastés (le blanc est éclatant, les noirs saturés), cadrés en forte contre-plongée (attirant ainsi le regard vers le ciel), parfois décentrés, sous cette esthétique conquérante, transparaît l'obsession du redressement national.

 

 

Et les photos de Koudelka, dans ce contexte?

Fûts de colonnes à Olympie, terrasse de l'Autel de Zeus à Pergame, vestiges urbains de Leptis Magna... tous ces sites archi connus de l'Antiquité, les voilà présentés en grand format, dans un cadrage panoramique curieux, très large, très bas, et tirés en noir et blanc.

Comme dans toute expo, libre à chacun de réagir: on aimera ou non cette vue du temple du Cap Sounion masquant le haut des colonnes, ce cliché du temple de Zeus à Athènes, cet autre de Leptis Magna où deux colonnes redressées sont reléguées à l'arrière-plan derrière une juxtaposition de chapiteaux sculptés posés au sol, cette vue presque verticale de Petra...

Mais comment ne pas faire le lien avec tout ce qui vient d'être dit? Comment ne pas se dire qu'au fond cette esthétique de Koudelka est l'antithèse de celle des années trente, que sa fascination pour les monuments antiques n'est pas celle glorieuse du redressement, mais la fascination pour ce qui gît? Une contemplation d'ordre strictement personnel, sans doute induite par ses premières productions, une vision très sombre, presque de no-future, qui met à bas le vieux cliché de l'éternité des monuments antiques.

 

J.-P. Pillard



23/04/2013

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