café archéo "Archéologie et colonisations" du 6 avril 2013
"Archéologie et colonisations"
le café-archéo du 6 avril 2013
«Pithi è apithi»: bois ou va-t-en...
C'est ainsi que les Grecs d'autrefois accueillaient les convives au banquet rituel. C'est ainsi qu'on aurait pu accueillir la vingtaine de participants au 4e café-archéo de l'association, qui s'est tenu le 6 avril dans le cadre superbe de la Vieille Charité.
coupe à libation, fouilles de Marseille, Ve siècle
Pourquoi ce thème des colonisations? quel rapport avec l'exposition sur le Trésor des Marseillais, que nous venions de visiter?
Parce que l'oracle de Delphes est le point de départ obligé de l'aventure, de la colonisation. Sans oracle, pas d'embarquement. Il y a un rituel, qu'on respecte.
Au-delà du rituel, l’importance du sanctuaire de Delphes et le phénomène des colonisations sont liés: en même temps que les cités envoient des groupes à la périphérie du monde connu, elles éprouvent le besoin de renforcer leur identité. Eclatement géographique des colonisations et hellénisme centrifuge d'une part, repli identitaire autour du sanctuaire de Delphes et construction d'une vision centripète de l'hellénisme d'autre part.
Mais en même temps, impossible de parler de colonisation sans en évoquer les formes modernes et contemporaines. Situations pas réglées, questions brûlantes: il n'est pas simple de parler de l'esclavage aux Antilles. On est alors au cœur des objectifs de nos cafés-archéo: croiser les données de l'archéologie avec des problématiques contemporaines.
Des intervenants de qualité
Jacques Thiriot, spécialiste de l’histoire des techniques (les fours en particulier), Directeur de recherche au Laboratoire d'Archéologie Médiévale à l'Université d'Aix, membre de plusieurs autres Laboratoires en France et à l'Etranger, auteur de très nombreuses publications
-Lucien-François Gantès pour Massalia, archéologue municipal de la ville de Marseille, la vraie mémoire de l'archéologie marseillaise
-Alexandre Baralis pour Apollonia du Pont, chercheur au Centre Camille Jullian d'Aix-en-Provence, Docteur en archéologie, co-directeur de la Mission franco-bulgare à Sozopol (Bulgarie)
Quelques pistes...
-les fondations, légendes et réalité
-les formes de la colonisation
-colons et colonisés
-colonie et métropole
-archéologie coloniale et post-coloniale
...et un fil rouge: « dans quelle mesure l’archéologie peut-elle contribuer à la réflexion sur les colonisations? »
Protis, le premier colon
Cette belle histoire d'amour ne cache-t-elle pas une autre réalité, une colonisation moins pacifique? - on sait bien que les mythes n’ont pas vocation à être vrais, mais les vestiges matériels ne mentent pas - que dit l’archéo sur ce point?
LFG.: il n'y a pas d'indices de destruction violente dans les niveaux les plus anciens (vers 600). La présence de tessons de céramique indigène (urnes, coupes, écuelles), montre une cohabitation probable entre Grecs et Gaulois, au moins pendant les vingt premières années. Remarque: les femmes étaient rares parmi les premiers migrants...
A. B.: même remarque pour les premières colonisations de la Mer Noire.
LFG.: se méfier des récits guerriers véhiculés par les textes, même les niveaux correspondant à la prise de Marseille en -49 ne montrent pas de destructions massives.
Mais y avait-il seulement des gens dans les secteurs où s'installent les colons?
Le Lacydon par exemple, était-il occupé avant l'arrivée des Grecs? Très peu, selon LFG, les populations indigènes n'étant pas vraiment tournées vers la mer. La découverte d'une cinquantaine de tessons indigènes autour du Fort St Jean suggère quand même la présence d'un petit groupe, peut-être des pêcheurs. Article en préparation.
Et plus tard, comment mesurer le mélange des populations?
La présence de céramique modelée (production locale) sur les sites grecs n'implique pas forcément la présence de Gaulois, les Grecs ont très bien pu l'utiliser, par commodité. Selon J. T., on constate le même phénomène dans un tout autre contexte, les Antilles au XVIIIe siècle.
Les stèles funéraires apportent parfois des données intéressantes (nom indigène dans un contexte grec).
Mais il ne semble pas qu'on puisse généraliser, le mélange est très variable d'une cité à l'autre.
Le type d'habitat n'est pas non plus un indice clair: aux Antilles, les colons s'installent dans des cabanes de tradition locale, en terre et en paille, il faut attendre un siècle pour voir apparaître d'autres modes de constructions, en dur, importés de la métropole.
Même constat en Mer Noire, selon A. B.: les premiers colons grecs vivent dans les mêmes maisons semi-enterrées que les Thraces.
Comptoirs ou colonies de peuplement?
Cette relative fusion des colons dans le mode de vie local est due au fait qu'il ne s'agit pas à l'époque de colonies de peuplement. Les Grecs s'installent là pour faire du commerce, à la suite des Etrusques qui exportent leur vin, et en diffusant le service à boire. Ils n'occupent pas vraiment le territoire, l'agriculture viendra plus tard.
LFG insiste sur cet aspect de la question, en soulignant le paradoxe de Marseille: pourquoi les Phocéens sont-ils venus s'installer sur ce territoire aux terres pauvres et sans ressources minières? (à Huelva par exemple, ils avaient les mines de cuivre).
En tout cas la vocation commerciale de Marseille s'affirme très vite: à partir de 550 elle redistribue à la fois le vin et la vaisselle à boire vers l'arrière-pays, très loin puisqu'on retrouve des amphores massaliètes jusqu'à Vix.
Les raisons pour lesquelles ils partent sont connues, et diverses: la rareté des terres, l'augmentation de la population, le mode de transmission de l'héritage, qui privilégie le fils aîné aux dépens des autres...
Quoi qu'il en soit, la colonisation fonctionne à plein à partir de 600, les échanges se multiplient, entre Grecs comme avec d'autres partenaires, en Égypte par exemple, où dès 550 les Grecs se font enterrer selon les rites locaux (momification).
Quid de l'appropriation des terres? le parcellaire de Hvar en Croatie peut-il constituer un exemple auquel se référer?
le parcellaire de Hvar en Croatie
A.B. en doute, les territoires occupés par les premiers colons paraissent très étroits, mais on ne sait pas grand-chose là-dessus. Il évoque quand même la possibilité d'une expropriation des indigènes par les colons regroupés autour du fortin.
L.F.G. évoque les traces agraires retrouvées à Marseille, depuis l'Alcazar (très près du rempart) jusqu'au bord de l'Huveaune, à deux kilomètres. Mais elles sont du IVe siècle, donc hellénistiques. Avant, on sait très peu de choses: on n'a pas (encore?) retrouvé de fermes, on a bien quelques nécropoles grecques, à Arenc, à St. Mauront, dans l'anse du Lazaret (découverte récente d'une nécropole de la fin du VIe siècle), mais pas les fermes avec lesquelles elles fonctionnaient. Au VIe siècle, le territoire de Marseille est maritime. Les fondations massaliètes sont des cités-fortins destinées à protéger les routes maritimes, comme Olbia sur la route d'Italie en Espagne.
les plus anciennes traces du vignoble marseillais
(IVe siècle av. n.è.)
Le four à barres de Sainte-Barbe
Les transferts de technologie peuvent-ils constituer des indices de migrations et/ou de mélanges de populations?
J. Th. évoque la découverte d'un four médiéval du XIIIe siècle à Marseille (Sainte Barbe), qui suscite de nombreux débats et interrogations. Un artisan venu d'Al-Andalús s'installe à l'extérieur des remparts, vers la Porte d'Aix. C'est un atelier absolument unique pour l'époque à Marseille, avec un four à barres, et un véritable laboratoire de recherche où le maître-potier tentait visiblement des expérimentations. Tout autour, un vrai lotissement, toute une série de parcelles avec fours, bacs d'argile etc. Quel type de migration sud-nord ce transfert cache-t-il: un groupe de potiers? un artisan isolé? Trente ans plus tard, le four à barres est remplacé par un four classique, la technologie importée est abandonnée, c'est un échec. Il ne s'agissait donc pas d'un transfert de population, mais d'un individu. Celui-ci disparu, on en revient aux techniques anciennes...
"Potiches" et "daubanes" antillaises
Par contre, quelques siècles plus tard, et dans un autre contexte, le transfert est un succès: aux Antilles, les colons français font des "potiches" (pots à sucre, pots à mélisse), puis des "daubanes" (poterie culinaire produite localement par des artisans venus "d'Aubagne"). Le transfert technologique est ici réussi, mais il s'accompagne d'un transfert de population.
Quels liens entre colons et colonisés l'archéologie met-elle en évidence?
Les Gaulois empruntent aux Massaliotes les techniques de fabrication de la poterie (façonnage au tour, cuisson), mais pour produire des formes différentes, urnes, écuelles, correspondant à leur propre mode de vie.
vase à boire en argent,
ou l’art hellénistique en milieu thrace (Bulgarie)
Et les liens entre colonie et métropole?
La sur-représentation des pièces de vaisselle attestant la pratique du banquet montre que les formes de vie sociale ont été exportées.
Par ailleurs, LFG remarque que l'arrivée des colons grecs à Marseille s'accompagne de celle de nombreux corps de métiers, dont les potiers. La production sera donc locale (même si on n'a pas encore retrouvé d'ateliers), mais en utilisant les techniques des régions d'origine, Phocée et environs.
Et sur le long terme, on constate que si les formes de la vaisselle évoluent avec le temps, elles évoluent en parallèle avec celles de la métropole (y compris après la prise de Phocée par les Perses). Preuve s'il en est de l'étroitesse des liens entre métropole et colonie.
En guise de conclusion: "Pinômen eti" ("buvons encore")
La question des colonisations est inépuisable. L'échange informel de cette soirée a montré que l'archéologie, science du passé, avait son mot à dire dans ce débat, et de ce point de vue, ce fut une soirée réussie.
Merci à Jacques Thiriot (qui partait en mission aux Antilles la semaine suivante), à Lucien-François Gantès (pourquoi pas une visite du dépôt archéologique de Marseille?), à Alexandre Baralis (en attente d'un prochain séjour en Mer Noire).
Il ne restait plus dès lors qu'à vider les derniers verres, et à se séparer, en ouvrant les parapluies (quel temps exécrable ce jour-là!), et en espérant se retrouver dans un prochain café-archéo.
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